CALEPINER LES BALLES DES CARTOUCHES GRAS
Par Jean-Pierre SEDENT
DEFINITION ET UTILITE D’UN CALEPIN.
Les anciennes cartouches à poudre noire pour le fusil Gras sont munies d’un projectile en plomb sous calibré, dont la partie postérieure est recouverte d’une bande de papier. Cette bande de papier est généralement appelée « calepin ». Le projectile en plomb calepiné est l’ancêtre des projectiles actuels chemisés d’un métal relativement tendre recouvrant totalement ou en partie un noyau de plomb durci.
Cette chemise en papier est principalement destinée à éviter le contact direct entre le plomb du projectile et l’acier du canon. Lors du tir, cette disposition supprime tout risque de plombage du canon en évitant la fusion partielle du plomb au contact des rayures.
La chemise en papier permet d’augmenter le diamètre du projectile qui en est muni, améliorant ainsi lors de sa translation, l’étanchéité entre le projectile et le fond des rayures de l’âme de canon. Le passage du projectile chemisé dans le canon a également pour effet de nettoyer ce dernier, en chassant les résidus de combustion de la poudre noire laissés par le tir précédent.
PROFIL DU PROJECTILE D’ORIGINE MLE 1874.
Le projectile d’origine Mle 1874 est en plomb lisse sans aucune gorge de graissage. Le nez est arrondi. La base de la balle comporte une petite cavité hémisphérique de 5mm de diamètre, destinée à recevoir le tortillon de papier du calepin. Le profil définitif est obtenu par compression du projectile moulé dans une presse spéciale.
Le projectile nu présenté ci-dessous a un diamètre de 10,92mm et une longueur de 28,10mm. Son poids est de 24,89 grammes.
Le même projectile calepiné de son papier d’origine a un diamètre de 11,20 mm.
FORME DU CALEPIN.
Ce calepin est réalisé dans un papier blanc et opaque de 0,07mm d’épaisseur (les documents d’époque précisent que le calepin est découpé dans du papier coquille de 0,55mm d’épaisseur) et affecte la forme d’un parallélogramme dont les dimensions sont approximativement les suivantes :
- La base est égale à deux fois la circonférence du projectile.
- La hauteur est égale à la hauteur de la partie cylindrique du projectile, plus le rayon de la base circulaire du projectile.
- L’angle obtus est de 140° et l’angle aigu de 40° (vérifié).
ENROULEMENT DU CALEPIN.
Le calepin humidifié effectue précisément 2 circonvolutions autour du projectile (sans en entamer une troisième) et la base du projectile est complètement enveloppée dans ce papier. Le papier est tortillé à la base du projectile. Le surplus du tortillon est coupé puis enfoncé dans le culot creux de la balle. Le sens d’enroulement s’effectue avec la pointe du projectile à droite, l’angle aigu du calepin à droite (vers la pointe du projectile) et en faisant rouler le projectile vers le haut. L’angle d’inclinaison du joint sur le projectile calepiné est de 50° (vérifié).
Deux empreintes de poinçon en forme de « virgule » la pointe dirigée vers le haut, diamétralement opposées et à 2 mm du haut du calepin contribuent à fixer le papier sur le projectile. J’ignore si ces poinçonnages étaient réalisés lorsque le papier était humide ou s’ils étaient effectués sur le calepin sec avant le graissage. A ces emplacements, le papier était enfoncé dans le plomb sans être déchiré.
La balle réglementaire Mle 1874 (notez le sens de l’enroulement du calepin et la cavité au culot).
GRAISSAGE DE L’OGIVE ET DU CALEPIN.
Après sertissage dans le collet de l’étui, le projectile était plongé dans un bain de graisse fondue sur une hauteur de 16mm à partir de la pointe de la balle. Le haut du calepin était donc graissé sur une hauteur de 5mm.
Cette graisse était en principe pour ce modèle constituée de 4/5 de suif et 1 /5 de cire d’abeille jaune.
LES DIFFERENTS MODELES DE BALLES CALEPINEES POUR LE GRAS.
Trois types de balles en plomb et calepinées ont été officiellement adoptés pour la cartouche militaire Gras :
- La balle Mle 1874. En plomb pur comprimé (celle qui est photographiée ci-dessus).
- La balle Mle 1879. Egalement en plomb pur comprimé. Il s’agit d’une amélioration de la balle 1874, dont le profil est légèrement conique et l’ogive plus allongée.
- La balle Mle 1879-83. En plomb durci à 5% d’antimoine, dont le corps est cylindrique et dont l’ogive présente un nez plat de 6mm. Le culot quant à lui comporte une cuvette en tronc de cône au lieu de la cavité hémisphérique des deux projectiles précédents.
Le poids de ces projectiles ne change pas et reste fixé à 25 grammes. Leur diamètre maximum à la base est de 11mm.
CHOISIR UN MOULE ACTUEL DU COMMERCE.
En feuilletant les catalogues des fabricants de moules à balles, nous allons rechercher un projectile dont le poids, la forme et les dimensions seront proches de ceux de l’une des trois balles réglementaires.
Pas facile de trouver une balle sans gorges de graissage !
Un profil proche de la balle Mle 1879.
Le moule Lyman 439186 produit un projectile dont le profil ressemble à celui du Mle 1879. Ses caractéristiques moyennes mesurées sont les suivantes :
- Longueur du projectile : 27,90mm.
- Diamètre maxi de l’ogive : 10,97mm.
- Diamètre de la première bande de guidage (la plus large) : 11,19mm (pour un diamètre annoncé de 11,15mm).
- Diamètre des deux bandes suivantes : 11,21mm.
- Diamètre de la dernière bande : 11,25.
- Poids du projectile : 24,67 grammes (pour un poids annoncé de 23,97 grammes).
Le projectile sortant de mon moule présente une légère conicité de 0,06mm. Ses dimensions sont légèrement supérieures à celles du modèle d’origine et son poids en est très voisin. Bien qu’il comporte des gorges de graissage, ce projectile devrait donc parfaitement convenir pour l’utilisation envisagée.
FABRICATION DU GABARIT DE TRACAGE.
Le rendement n’est pas notre objectif principal et il n’est nul besoin de posséder un matériel sophistiqué pour fabriquer des calepins.
Le gabarit décrit ci-dessous est celui qui convient au projectile Lyman 439186 brut de fonderie. Ses dimensions sont déterminées par expérience personnelle en fonction de l’épaisseur du trait de crayon et de la souplesse du papier pelure humide utilisé. Elles sont donc légèrement différentes de celles que l’on pourrait calculer par la formule mathématique à partir des mesures prises sur le projectile lui-même (ce qui bien sûr m’a été nécessaire à l’origine). Ce gabarit produit des calepins parfaits et faciles à rouler, dont la longueur permet exactement deux circonvolutions autour du projectile.
L’angle d’inclinaison du calepin militaire est de 50°, mais nous suivrons malgré tout les conseils de Paul Matthews qui préconise un angle compris entre 35° et 40°.
L’angle d’inclinaison. Tracé du gabarit du calepin pour projectile Lyman 439186.
Nous choisirons donc pour notre usage, un angle d’inclinaison du calepin de 40°.
Tracé du gabarit.
La hauteur du calepin :
- Sur une tôle fine en aluminium, tracer deux lignes parallèles, espacées de 21 millimètres. C’est la hauteur totale du calepin. Déterminer ensuite un point d’origine à droite sur la ligne du bas.
Les petits côtés :
- A partir de ce point d’origine, mesurer 17 millimètres vers la gauche sur la ligne du bas et élever une perpendiculaire qui vient couper la ligne du haut.
- Joindre le point d’origine de la ligne du bas et le point d’intersection de la ligne du haut avec la perpendiculaire. Nous obtenons une ligne oblique inclinée vers la gauche (en rouge sur le croquis). C’est l’hypoténuse du triangle rectangle que nous venons de tracer et dont les côtés de l’angle droit mesurent respectivement 21 et 17mm. Cette hypoténuse mesure 27 millimètres. C’est la longueur du petit côté du calepin.
Les grands côtés :
- A partir du point d’origine de la ligne du bas, mesurer 67 millimètres vers la gauche et marquer d’un nouveau point. C’est la longueur du grand côté du calepin. En mesurer autant sur la ligne du haut et joindre le deux extrémités pour former le second petit côté qui sera parallèle au premier.
Nous obtenons un parallélogramme de 21mm de haut, dont les grands côtés mesurent 67mm et les petits côtés 27 mm. Les angles aigus sont de 50° et les angles obtus de 130° pour un angle d’inclinaison du calepin de 40°.
Il est bien sûr possible d’utiliser d’autres méthodes pour tracer le gabarit, notamment en mesurant les angles à l’aide d’un rapporteur.
Découpage et finition du gabarit.
Notre gabarit est maintenant tracé, il ne reste qu’à le découper soigneusement et à polir son périmètre pour obtenir un contour bien lisse.
Lorsque cette opération est terminée, tracer sur le gabarit une ligne parallèle à l’un des grands côtés à une distance de 5 millimètres du bord et percer deux petits trous à un centimètre environ des extrémités (voir le croquis). Ils devront juste laisser passer la pointe d’un stylo ou d’un crayon. Ces deux petits trous serviront pour marquer deux points sur le calepin en papier, sans avoir à utiliser chaque fois la règle graduée.
Notre gabarit est terminé.
CHOIX DU PAPIER.
Le papier est choisi pour sa finesse, sa solidité, sa souplesse et sa propriété de rester lisse après le trempage.
J’utilise pour fabriquer mes calepins du papier « pelure » pour machine à écrire dont l’épaisseur est de 0,50mm. Ce papier convient parfaitement.
TRACAGE ET DECOUPAGE DES CALEPINS.
Une seule feuille de papier pelure 21 X 29,7 cm permet de tracer rapidement plus de 20 calepins à l’aide du gabarit fabriqué.
Traçage des calepins.
Pour produire des calepins bien réguliers et faciles à poser, il est nécessaire d’utiliser des stylos de couleurs différentes et de tracer les traits sous la même inclinaison le plus près possible du gabarit.
Le gabarit est posé sur le papier en respectant toujours le même sens de présentation. Pour faciliter le repérage de ce sens, il est conseillé de faire un marquage indélébile sur le gabarit (une flèche dirigée vers le haut par exemple).
En tirant les traits de la gauche vers la droite, dessiner le calepin de la manière suivante (les gauchers procèderont inversement) :
Gabarit et méthode de traçage.
- Au stylo noir et dans l’ordre, d’abord le bas du parallélogramme, ensuite le côté droit et enfin le haut. Pour terminer avec cette couleur, pointer le stylo dans les deux trous du gabarit pour matérialiser deux points sur le papier.
- Au stylo rouge, tracer le côté gauche du parallélogramme.
- Remplir complètement la feuille de dessins de calepins en laissant un espace autour de chaque figure, ce qui facilitera leur découpage.
- Terminer le traçage en joignant sur chaque calepin les deux points par un trait noir sur toute la longueur.
Le matériel de traçage et de découpage...
Découpage des calepins.
Pour le découpage, utiliser des ciseaux droits de bonne longueur, permettant de couper les petits côtés du calepin en une seule fois (lames de 7 cm mimum). Découper tout d’abord des bandes de 2 ou 3 calepins, suivant le sens dans lequel ils sont dessinés sur la feuille, puis terminer en découpant soigneusement chaque calepin au ras et à l’extérieur du trait de stylo. Veiller à laisser apparent le trait rouge du petit coté.
Nous préparons ainsi un nombre de calepins suffisant pour une séance de tir ou pour nous constituer un stock plus important.
CALEPINAGE DES PROJECTILES.
Méthode personnelle de roulage.
Pour le fusil Gras dont les rayures sont au pas de gauche et très profondes, il est préconisé de commencer l’enroulement du calepin en poussant vers le haut le projectile dont la pointe est orientée à droite et l’angle aigu du calepin orienté du côté de la pointe du projectile.
Comme ceci :
Projectile roulé vers le haut.
Pour des raisons de commodité personnelle, je préfère réaliser l’opération en faisant rouler le projectile vers le bas, ce qui ne change rien au sens d’enroulement du calepin et me permet de mieux maîtriser la manipulation du projectile et le guidage du calepin humide.
Comme ceci :
Même sens d'enroulement, mais projectile roulé vers le bas.
Chacun optera pour la méthode qui lui convient, sous réserve que le sens d’enroulement du calepin soit conforme à celui prescrit par Paul Matthews.
Préparation du matériel.
Il est nécessaire de travailler sur un plan bien lisse et imperméable. Une table en formica par exemple convient parfaitement.
Mettons à portée de main un récipient de faible hauteur rempli d’eau, les projectiles nus et non graissés et notre réserve de calepins. Ajoutons un couvercle de boite en plastique pour recevoir les projectiles calepinés et voilà rassemblé devant nous tout le matériel indispensable.
Dès que l’on a acquis un certain automatisme des mouvements pour les opérations suivantes, le travail devient alors d’une facilité déconcertante. La règle à observer pour y parvenir rapidement est la suivante : « toujours dans le même sens ».
Trempage des calepins.
Mettons à tremper notre premier calepin et afin de ne pas hésiter sur le sens dans lequel il va falloir ensuite le présenter sous le projectile, orientons le petit côté en rouge vers la gauche. Appuyons sur le calepin pour l’immerger complètement.
Attendons quelques instants.
Immergeons ensuite un second calepin à côté du premier et toujours dans le même sens... Pendant que nous réaliserons l’enroulement d’un calepin, un autre devra toujours être en train de tremper.
Le temps d’immersion est égal au temps nécessaire à l’enroulement et au calepinage complet d’un projectile, ce qui est largement suffisant.
Calepinage du premier projectile.
- Avec l’index de la main gauche, faire adhérer l’extrémité du côté rouge du calepin pour le sortir de l’eau.
- Poser le calepin sur le plan de travail en face de nous, l’extrémité rouge adhérant toujours à l’index.
- Avec la main droite, saisir un projectile et venir le poser pointe à gauche sur le calepin.
- La base du projectile alignée sur le trait situé à 5mm du bord, positionner le projectile au contact de l’index de la main gauche puis rabattre délicatement la pointe du côté rouge du calepin sur le projectile où elle va adhérer immédiatement.
- Immobiliser l’autre extrémité du calepin à l’aide de l’index de la main droite.
- Avec la main gauche, commencer à faire rouler le projectile vers soi, en le guidant légèrement afin que sa base reste sur le trait. Il n’est pas nécessaire de tirer sur le papier pour le tendre.
- Le projectile va effectuer deux tours sur lui-même et le calepin sera parfaitement enroulé.
- Contrôler que le joint du calepin effectue bien deux révolutions sans en entamer une troisième. C’est ici que nous est vraiment utile le trait tracé en rouge sur l’un des côtes du calepin. En effet, on l’aperçoit encore par transparence, ce qui permet de vérifier que le second tour d’enroulement s’arrête immédiatement avant ce trait rouge. Si c’est le cas, l’enroulement est correct...
- En commençant par le plan de joint, replier les 5mm de papier dépassant de la base du projectile. Effectuer ces replis en cinq tronçons réguliers, les extrémités ne devant pas se chevaucher. La base du projectile calepiné de cette manière doit rester plate.
- Saisir le projectile par l’ogive et presser la base du projectile sur la table en effectuant une légère torsion vers la droite. Attention, le papier humide est assez fragile !
- Déposer le projectile calepiné dans le couvercle de boite en plastique prévu à cet effet.
Le second enroulement se termine juste avant le trait rouge.
Ne touchez plus à ce projectile, laissez le sécher. Le papier va se tendre automatiquement. Soyez patient...
Nous allons continuer notre travail :
- Immerger un calepin sous celui qui est en train de tremper, le côté rouge dirigé vers la gauche.
- Avec l’index de la main gauche faire adhérer...et le cycle recommence.
Séchage des projectiles calepinés.
Tous les projectiles calepinés sont placés verticalement dans ce couvercle en plastique et mis à sécher, l’hiver posés sur un radiateur de chauffage central par exemple et l’été exposés en plein soleil. Le séchage est rapide.
Nous pouvons constater qu’en séchant, le papier blanchit et se tend en adhérant fortement au projectile. Le serrage sur la balle est tel que les gorges de graissage se devinent sous le papier lorsque celui-ci est bien sec. C’est parfait.
Les calepins sont secs et bien tendus.
CONTROLE DU DIAMETRE DU PROJECTILE CALEPINE.
Avant d’être calepiné, notre projectile présentait une conicité de 0,06mm de 11,19mm à 11,25mm. A présent, la conicité est toujours de 0,06mm mais cette fois de 11,35mm à 11,41mm.
Notre projectile a gagné 0,16mm en diamètre grâce au calepinage et conviendra pour le chargement d’une cartouche de fusil gras à la poudre noire dont les caractéristiques sont proches de celles de la cartouche militaire fabriquée au XIXème siècle. En tenant compte du tassement du projectile au départ du coup et de l’augmentation de son diamètre qui en découle, notre projectile calepiné devrait donc en principe aller « à fond de rayures » du canon lors de sa translation.
Il ne reste qu'à graisser les ogives si on le désire.
POUR EN SAVOIR DAVANTAGE SUR LE CALEPINAGE.
Si vous désirez vous documenter davantage sur les méthodes de calepinage de projectiles divers (y compris les balles minié à gorges de graissage !), procurez vous le petit livre de Paul Matthews The paper jacket. Vous y trouverez une multitude de renseignements bien utiles pour vous aider dans la réalisation de vos travaux. C’est un outil vraiment indispensable ! (Rédigé en anglais).
Sommaire :
- 1) Généralités.
- 2) La balle.
- 3) Moulage de la balle calepinée.
- 4) Méthode et outils de calibrage.
- 5) La chemise en papier.
- 6) Pose du calepin.
- 7) Conseils pour bien raccorder la chemise et la balle.
- 8) Graissage du calepin.
- 9) Imperméabilisation du calepin.
- 10) Débiter rapidement des calepins.
- 11) Chargement des cartouches à balles calepinées.
- 12) Théorie sur la cartouche à balle calepinée.
- 13) Histoire d’hier à aujourd’hui sur les balles calepinées.
Où le trouver ?
Vous pourrez vous le procurer en tapant : the paper jacket dans le moteur de recherche du site ci-dessous.
http://www.rayrilingarmsbooks.com/cgi-bin/rrb455.cgi/results.html?id=MGubiYFF